jeudi 3 mars 2011

Djerba (جربة)


Art de vivre[modifier]

Mariages traditionnels[modifier]

Djerba possède des traditions très variées144 dont plusieurs se maintiennent comme par exemple les mariages traditionnels qui se célèbrent sur plusieurs journées et comptent plusieurs cérémonies145.
Généralités[modifier]
Les distractions étant rares, les mariages qui se célèbrent surtout en été sont attendus, particulièrement chez les malékites pour lesquels il représente une occasion de défoulement, notamment pour les femmes. Chez les Djerbiens de rite ibadite, les mariages sont plutôt austères, souvent sans danse voire sans musique146.
Mariée couverte d’un voile intégral muni de deux ouvertures au niveau des yeux.
Hejba
Mariée djerbienne présentant sur ses genoux ses mains couvertes de motifs au henné.
Mains d’une mariée djerbienne
Les cérémonies du mariage traditionnel sont nombreuses147. Dans la ville de Houmt Souk, la hejba est la première d’entre elles. À partir de ce jour, la future mariée cesse de sortir de chez elle pendant un certain temps (une semaine à un mois voire plus), en grande partie pour se protéger du soleil148, la peau blanche étant l’un des principaux critères de beauté à Djerba. Lors de cette cérémonie, la dot est payée au père de la mariée et servira principalement à l’achat du trousseau de celle-ci, y compris des couvertures en laine, de matelas, etc. Par ailleurs, plusieurs zaouïas sont visitées, où des bougies sont allumées. Mais c’est durant la semaine même du mariage que les cérémonies et les festivités se multiplient. Les familles des deux futurs époux organisent des festivités séparées et ce n’est qu’à l’aube du septième jour que ces familles se rencontrent pour fêter le dernier jour (traditionnellement un vendredi) ensemble. Les cérémonies pour femmes sont animées par des musiciennes et, en général, les hommes n’y accèdent pas. En revanche, les femmes, autrefois voilées en majorité, peuvent accéder aux soirées musicales organisées pour les hommes. En plus des musiciens locaux (autrefois en majorité noirs)107, les Djerbiens font appel aux musiciens des îles Kerkennah, dont le folklore est proche du leur149, et parfois à ceux de Ghomrassen (appelés toualeb).
Les invités apportent en cadeau des œufs frais150 et de l’argent aux mères des futurs époux. Note est prise de ces cadeaux — que l’on appelle hourem ou haouram — afin qu’au moins l’équivalent soit offert en retour.
Déroulement[modifier]
À Houmt Souk, à l’occasion du premier des sept jours du mariage, les invitations (tahdhir) sont lancées par l’intermédiaire des haddharat habillées, maquillées et parées de bijoux ; les familles visitées leur offrent à manger ainsi que de l’argent. Ce même jour, la zammita151 du mariage est préparée au son de chants traditionnels et de youyous.
Marié célébré par ses amis durant la soirée de la henna kbira.
Marié célébré par ses amis le soir de lahenna kbira
D’autres cérémonies suivent dont la henna sghira (quatrième jour du mariage) : des enfants de familles proches habillés en adultes (les fillettes maquillées et parées de bijoux traditionnels) sont reçus par les parents de la future mariée ; ils apportent une bague dissimulée dans du hennéen feuilles qu’un petit garçon enfile dans l’annulaire de la mariée. Sa famille offre à ces enfants à manger, ainsi que des cadeaux et des œufs durs colorés. La soirée est dédiée à la tatrifa : après les chants et danses, une proche parente du futur époux applique du henné à la mariée, au rythme de chants traditionnels et de youyous et à la lumière de bougies tenues par de jeunes femmes récemment mariées (appeléessaddarat), parées d’habits et bijoux traditionnels réservés aux mariées.
Le lendemain soir, la henna kbira a lieu chez le marié : un yahni152 est servi aux invités et des cadeaux envoyés à la mariée. Un couffin plein de produits de maquillage traditionnel (gouffat el henna), d’encens, des bijoux, un r'dé que la mariée portera pour la jeloua et un beskri153 sont amenés, en principe, à cheval par un homme adulte, de préférence noir, accompagné de proches parentes du marié. Le marié est habillé par ses amis à la lumière de bougies et au son de musique. Une cérémonie particulière à l’île (qui aurait des origines païennes), la berboura, a alors lieu : le marié, abrité par un beskri et accompagné par ses proches parentes et ses amis, rend une visite rituelle à un olivier d’où il détache un rameau avec lequel il frappe symboliquement ses amis célibataires154.
Le jour suivant, le contrat de mariage est signé et une cérémonie féminine de coiffure a lieu chez la mariée (bambar). Par le passé, les cheveux de la mariée étaient coiffés en fines tresses assemblées en deux tresses tombant le long de son visage. Des pièces rondes en or appelées mahboub155,156 étaient appliquées sur ces tresses157. Avant le bambar, les parents de la mariée offrent un yahni à leurs invités. Après une soirée de musique et de danse, la mariée est portée chez son mari, à dos de chameau, dans la jehfa (sorte de baldaquinorné de tentures)158, accompagnée de ses invités et de musiciens en costume traditionnel jouant du tabl et de la ghita107 et dansant tout au long du trajet alors que son trousseau est porté par d’autres chameaux159,160. Une fantasia (course de chevaux) est parfois organisée lors du parcours161. On peut également assister à un spectacle de zgara, une danse-combat entre deux hommes armés de sabres. Dans certaines localités, la mariée ne doit arriver chez son époux qu’à l’aube pour le dkhoul162. Un œuf dur est partagé entre les deux époux et une jarre est cassée au moment où ils s’isolent. Dans certains villages, une cérémonie appelée le derdek a lieu163.
Mariée dévoilée par une femme durant la cérémonie de la jeloua.
Mariée durant la cérémonie de la jeloua
La jeloua a lieu le lendemain et consiste en un après-midi de chants et de danses animé par des musiciennes traditionnelles, en majorité noires, appelées chouachan. En fin d’après-midi, habillée en r'dé et parée de bijoux164, la mariée est portée sur un coffre (autrefois réservé à son trousseau) par son frère aîné. Face au soleil, un rituel a lieu au cours duquel son visage est montré aux invités à intervalles par la maquilleuse (zaiana, en principe noire) qui baisse et soulève le boundi165 au rythme des youyous alors que la mariée garde les yeux fermés. Des pièces de monnaie et des bonbons sont lancés par les frères et les oncles de la mariée qui se succèdent à sa gauche sur le coffre alors que la zaiana se tient à sa droite. Le tout s’achève au coucher du soleil, lorsque le marié tourne le boundi sur la tête de la mariée sept fois puis le retourne sur l’autre face. Le troisième jour après le mariage (ethalath), les parents de la mariée rendent visite à leur fille qui s’habille enmelhafat zouizat. Le contenu d’un grand couffin de fruits secs et de bonbons typiques166 (gouffat ezraraa) est partagé entre les deux familles. La dernière cérémonie (essboua) a lieu quatre jours après. La mariée peut y attacher pour la première fois son beskri avec une broche centrale (au lieu des deux broches qu’elle a portées sur les côtés depuis le commencement du mariage). Elle enjambe un récipient contenant dupoisson frais et travaille la semoule pour le couscous au poisson (cousksi el khouatem) qui sera offert aux invités.
Il est à noter qu’à Djerba, le poisson est considéré comme un porte-bonheur qui conjure le mauvais œil135. Ce jour-là, le marié invite les parents et amis mâles qui auront le droit de rencontrer sa femme à l’avenir. Ceux-ci baisent la main de la mariée et lui offrent de l’argent.

Traditions[modifier]

L’île connaît une multitude de costumes traditionnels et de bijoux typiques167. Durant longtemps, le métier de bijoutier était exercé exclusivement par les habitants juifs de l’île. Il existe également des chapeaux caractéristiques de certains villages (comme Guellala et Sedouikech)168, une musique typique longtemps exécutée par des musiciens et chanteurs en majorité noirs110, une gastronomie variant d’un village à l’autre, des accents divers voire des rites religieux différents. Jusqu’à récemment, les différents groupes ethniques et religieux ne se mariaient pas entre eux alors que les relations entre les différents groupes étaient affables. Le mariage endogame a été pendant des siècles le plus commun sur l’île et le reste toujours dans les campagnes132.
Chez certains Djerbiens de rite ibadite, la jeune fille qui jeûne durant le ramadan pour la première fois (en principe dès qu’elle devient pubère) est reçue à dîner par les parents et amis pendant tout le mois du ramadan et reçoit des cadeaux destinés à son trousseau de mariage (coupons de tissu, draps, etc.).
L’une des conditions du mariage musulman est le paiement d’une dot par le futur époux ou sa famille à la future épouse. Au Moyen-Orient, cette dot comprend deux parties : l’une payée au moment du mariage, appelée mokkadam, et l’autre appelée moakhar est la plus importante et payée en cas de divorce. En Tunisie, la dot est normalement payée en entier au moment du mariage et, à Djerba, elle sert pour préparer le trousseau de la mariée (linge et vêtements notamment). La dot est d’autant plus élevée que la jeune fille est jolie et issue d’une famille importante169. Après l’indépendance de la Tunisie en 1956, une grande campagne est menée pour réduire la dot à une somme symbolique et, au début des années 1960, des Djerbiennes se marient avec une dot symbolique d’un dinar.
Djerba connaît deux personnages traditionnels importants qui sont en général des hommes noirs. Le premier, tengam, vient réveiller les habitants pendant les nuits du ramadan pour prendre le dernier repas avant le début du jeûne. Il y a plusieurs tengam sur l’île, qui vont de maison en maison battre leur tbal et chanter goumou le s’hourkoum. Le quinzième jour de ce mois, les Djerbiens les attendent pour leur offrir des f'tair (larges beignets) et des zlabias. Le jour de l’Aïd el-Fitr, ils repassent pour recevoir de l’argent170. Quant au deuxième, appeléboussadia171, c’est un personnage typiquement africain portant masque, peaux d’animaux ornées de petits miroirs et de rubans multicolores, il passe de maison en maison, souvent accompagné d’un enfant habillé comme lui, pour chanter et danser au son de petites cymbales en fer de forme ovale. Ce spectacle constitue une distraction pour laquelle les gens lui offrent de l’argent172.

Rapports à l’environnement[modifier]

Palmier-dattier chargé de dattes avant la récolte.
Palmier-dattier avant la récolte
Vieil olivier isolé au milieu d’un terrain.
Vieil olivier isolé
Il est intéressant de se pencher sur le rapport qu’avaient les Djerbiens avec leur environnement avant l’essor touristique et le revirement que vit l’île de nos jours.
Les centaines de milliers de palmiers de l’île représentent un élément très important pour les Djerbiens qui en utilisent toutes les parties173,174 : les palmes sont utilisées pour la vannerie175 et les barrières des pêcheries fixes176. La partie supérieure de celles-ci est aussi utilisée comme balai177. La partie dure des palmes vertes est utilisée pour fabriquer un jeu de société appelé sigue178. On utilise cette partie également pour la confection de brochettes pour les barbecues. Elle est également utilisée par les pêcheurs pour la confection des nasses179. Lorsqu’elles sont sèches, les palmes sont utilisées comme combustible : la partie supérieure, qui brûle rapidement, est utilisée pour faire partir le feu et la partie proche du tronc comme bois de combustion. Les palmes entières servent également à construire des enclos pour les animaux (z'riba) et des huttes qui servaient autrefois d’habitation pour les plus pauvres ou comme abris pour les cuisines externes64, lestoilettes, voire des khoss où les habitants se réunissaient180. Elles servent à présent pour construire des parasols sur les plages. Le tronc du palmier coupé en deux dans le sens de la longueur (sannour) sert pour la charpente du menzel et constituent la plupart des poutres des anciennes habitations ou ateliers de tissage66,61. Le tronc sert aussi pour certains instruments des vieux pressoirs à huile. Les régimes (qui portent les dattes), une fois débarrassés des fruits, sont utilisés comme balais pour les cours sablonneuses et les alentours du menzel. Ils sont également utilisés par les pêcheurs pour confectionner des cordages et enfiler le poisson vendu à la criée. Le cœur de palmier, appeléjammar, constitue un entremet et la sève (legmi) est bue fraîche le matin ou fermentée, comme vin de palme. Les dattes, dont l’île produit plusieurs variétés, sont consommées aussi bien fraîches que séchées. On en fait également des confitures, on les farcit de pâte d’amande et on les utilise pour farcir des gâteaux comme le makroud. Elles constituaient un élément fondamental dans le régime alimentaire des Djerbiens. Les habitants de confession juive les utilisent également pour la fabrication d’un alcool appelé boukha (qui se fait aussi à partir de figues)181. Les noyaux des dattes étaient concassés et utilisés dans l’alimentation des chameaux, ce qui justifie certainement le nom donné par les Berbères locaux au palmier : taghalett qui signifie « la précieuse »182.
La place qu’occupe l’olivier, connu à Djerba depuis des millénaires183, n’est pas moindre et des rites (berboura) sont encore célébrés autour de l’olivier aussi bien pendant les cérémonies de mariage que de circoncision154. Par ailleurs, lorsque les Djerbiens visitent les zaouïas, ils font souvent des offrandes d’huile d’olive. Tout comme pour le palmier, les Djerbiens font un usage multiple de toutes les parties de l’olivier : les fruits sont utilisés pour l’extraction de l’huile utilisée dans l’alimentation, la cosmétique (en particulier pour le soin des cheveux) ainsi que dans la pharmacologie traditionnelle. L’huile était aussi utilisée pour l’illumination (mosbah ou lampes à huile), pour allumer le feu (f'tilat zit oumèche) et les huiles usagées ainsi que les déchets d’huile servaient pour la confection de savon artisanal184.
Les olives sont aussi conservées — plusieurs procédés sont utilisés dont le séchage, la salaison et la saumure — pour usage alimentaire et les noyaux broyés et utilisés dans l’alimentation du bétail ainsi d’ailleurs que les restes des olives pressées. Les feuilles de l’olivier (ainsi que celles des autres arbres fruitiers) sont séchées et servent pour l’alimentation du bétail59, en particulier les chèvres et les moutons59. Les Djerbiens en font aussi un usage médicinal (notamment des tisanes contre le diabète). Les branchages secs sont utilisés comme combustible et les troncs pour la confection d’objets en bois d’olivier.
L’orge constituait l’aliment de base des Djerbiens sous diverses formes : zammita (poudre d’orge aromatisée), malthoutha (couscous d’orge), kesra (galettes d’orge), bazine (poudingd’orge), h'sou (soupe de farine d’orge), d’chichapaincrêpes et gâteaux d’orge sont consommés sur l’île depuis des millénaires. La paille est utilisée pour l’alimentation du bétail qui peut avoir exceptionnellement droit à de l’orge (par exemple pour engraisser le mouton de l’Aïd al-Adha). Le grenadier est un autre arbre familier aux Djerbiens qui utilisent son fruit en totalité, écorce comprise, celle-ci servant au tannage des peaux. Les feuilles servaient pour l’alimentation du bétail et les branchages secs comme combustible.
Les Djerbiens ne jetaient presque rien : les épluchures de figues de Barbarie, de melons, de pastèques, de courges ainsi que les épluchures des légumes et leurs feuilles (carottes ouradis) étaient coupés en petits morceaux et utilisés pour l’alimentation du bétail. Les pépins non consommés par les humains — les Djerbiens sont friands de pépins de courge et detournesol — sont donnés aux animaux. Les roses, certains géraniums (atr'cha) et les fleurs d’oranger sont distillés et utilisés dans la cuisine, surtout dans les desserts, la cosmétique ou la pharmacologie traditionnelle. Les écorces d’oranges sont quant à elles séchées, pilées et utilisées pour aromatiser café et gâteaux. Ainsi, les Djerbiens opéraient-ils un recyclagesystématique des restes ménagers, les quelques déchets non utilisables étant déposés dans une grosse fosse creusée à l’extrémité du champ ou verger et couverte de sable une fois remplie. Pour l’alimentation de leurs animaux, les Djerbiens ramassaient l’herbe du printemps, la conservaient pour la saison sèche59 et broyaient et traitaient tous les restes alimentaires difficiles à consommer tels quels. Tous les branchages secs, voire les crottes de chameaux, étaient ramassés systématiquement, conservés et utilisés comme combustible. Les restes de linge et habits usés étaient coupés dans le sens de la longueur et utilisés pour la fabrication de nattes (klim ch'laleg). Les écorces d’amandes servaient pour la fabrication d’une teinture traditionnelle pour cheveux (mardouma). Les restes de papiers (journaux, vieux cahiers, etc.) étaient vendus au poids. La vaisselle se faisait avec l’eau du puits (en général saumâtre) et du sable, de l’argile ou une herbe grasse qui pousse spontanément, appelée gassoul. Le cuivre était nettoyé avec de la cendre et la peau de citronspressés. L’eau de vaisselle servait pour arroser le grenadier ou autres plantes supportant l’eau saumâtre. Le kaolin et l’argile verte (disponibles à Guellala) étaient utilisés en cosmétique (bain de cheveux et masques pour visage et corps). D’autres produits naturels étaient utilisés en cosmétique comme le fenugrec, le miel, la farine de pois chiche, le blanc et le jaune d’œuf, l’huile d’amande, etc.
Jusqu’aux années 1970, il est interdit d’introduire des bouteilles en plastique sur l’île et l’usage des sachets en plastique était rare, les Djerbiens allant au marché avec leurs couffins s’ils y allaient à pied et leur zembil s’ils y allaient à dos d’âne ou de mulet. Avec le tourisme, les bouteilles en plastique sont autorisées, l’usage des sachets et emballages en plastique est généralisé, sans parler des boites de conserve en métal ou en plastique ; il est devenu commun de voir les bords de route jonchés de ce genre de déchets et ce même en pleine campagne. La structure même de l’habitat est en train de changer : on assiste à la transformation de Midoun en vraie ville et la naissance d’autres agglomérations comme Ouled Amor qui comptait à peine quelques maisons jusqu’aux années 1980 et Sidi Zaid où il n’y avait pratiquement pas de constructions hormis la zaouïa. Des habitations et des locaux de commerce ont commencé à pousser comme des champignons le long des côtes qui n’étaient peuplées que de palmiers, cactus, agaves, aloès et figuiers de Barbarie. La population s’est beaucoup mélangée, l’habillement, le langage et les mœurs sont en train de changer.

Économie[modifier]

L’économie de Djerba est traditionnellement « mixte, fondée sur la complémentarité des ressources du sol, de la mer et de l’artisanat [...] l’agriculteur peut être pêcheur ou artisan une partie de l’année »185 voire de la journée tout en étant commerçant186. Toutefois, le Djerbien est avant tout un commerçant prêt à quitter son île natale pour mener son activité commerciale. En effet, dès les années 1940, les commerçants djerbiens installés sur l’île ne représentent que 4 % de l’ensemble des négociants djerbiens. René Stablo indique que parmi les « 6 444 musulmans se livrant au commerce, 6 198, soit 96 %, tiennent boutique dans le bassin méditerranéen depuis le littoral atlantique jusqu’aux rives du Bosphore [...] Ils sont épiciers, merciers, marchands de tissus, de couvertures, de chéchias, de poteries, cafetiers, coiffeurs, etc. »187. En 1961, on a estimé à 1 067 412 dinars tunisiens l’apport des Djerbiens vivant hors de l’île, soit 42 % de l’ensemble de la valeur des productions et services djerbiens, l’agriculture en représentant 17 %9. En 1998, on estime l’apport des Djerbiens vivant à l’étranger à entre 20 et 25 millions de dinars par an188 alors que les ressources dérivées de l’agriculture ne représentent plus qu’entre 2 et 4 % des ressources globales de l’île comparées aux ressources des activités touristiques qui se montent à 20 fois plus99.

Tourisme[modifier]

Plage de sable agrémentée d’un palmier durant une journée ensoleillée.
Plage d’un hôtel djerbien
Hôtel de Djerba avec ses bâtiments bas de couleur blanche et ses jardins.
Hôtel djerbien
Djerba dispose d’une vingtaine de kilomètres de plages sablonneuses, situées surtout à l’extrémité orientale de l’île8, qui ont poussé Gustave Flaubert à surnommer Djerba « l’île aux Sables d’Or ». Les plus belles plages se trouvent au nord-est (Sidi Hacchani, Sidi Mahrez et Sidi Bakkour), à l’est (entre Sidi Garrous et Aghir), au sud (près de Guellala) et à l’ouest (Sidi Jmour)189. Jusqu’au début des années 1950, celles-ci ne sont fréquentées que durant les visites (ziara)190 que les habitants rendent aux marabouts191. Toutefois, avec l’arrivée du Club Méditerranée en 1954 et le développement du tourisme dès les années 1960 (construction du premier hôtel important en 19618), ces plages sont de plus en plus fréquentées. L’État tunisien est alors l’acteur principal par ses investissements comme par les avantages fiscaux et financiers consentis aux établissements touristiques56 qui sont pour la plupart construits sur la côte orientale de l’île.
Vers 1975, l’activité touristique prend des proportions insoupçonnables à l’origine53 et, dans les années 1980, le tourisme prend véritablement son essor pour devenir la principale activité économique de l’île. Les espaces permettent la construction de grandes unités hôtelières dont le taux d’occupation moyen atteint 68 % en 1999, ce taux situant Djerba en seconde position parmi les sites touristiques tunisiens56.
En 2009, le parc hôtelier offre 49 147 lits pour neuf millions de nuitées (8 300 lits en 1975, 14 409 en 1987 et 39 000 en 2002), répartis dans 135 hôtels (contre 48 en 19878) ; le taux de fidélité des clients (ceux qui y séjournent à plusieurs reprises) avoisine 45 %192. Le secteur emploie quelques 76 000 personnes192, soit trois fois plus qu’en 1987, même si le nombre d’emplois directs ne correspond qu’à quelques 15 000 postes de travail souvent précaires car saisonniers56.
En 2005, la zone touristique s’étend sur plus de vingt kilomètres entre Aghir au sud et Houmt Souk au nord. Néanmoins, un grand nombre de lits n’est utilisé que durant l’été et le parc hôtelier vieillit, entraînant un tassement de la clientèle, notamment en raison des prix trop bas induits par la concurrence56. Pour maintenir et développer l’activité, les acteurs locaux sont favorables à un enrichissement de l’offre par la création d’activités nouvelles (terrain de golfcasinomuséethalassothérapie ou encore parc d’attractions). Parmi les activités disponibles figurent letennis ainsi que d’autres sports, tandis que plusieurs stations nautiques proposent ski nautiquemotomarineparachute ascensionnel ou simple pédalo. Un bowling a ouvert ses portes non loin du terrain de golf. Par ailleurs, une marina est en cours de construction et permettra aux bateaux de plaisance d’y stationner sans difficulté.
La présence de l’aéroport international de Djerba-Zarzis193 et d’infrastructures routières194,56 contribue à faire de Djerba un centre touristique important, générateur de croissance économique pour la région.

Agriculture[modifier]

L’économie de l’île repose également sur l’agriculture et son climat permet la culture de nombreux oliviers, dont les familles d’agriculteurs récoltent les fruits en automne, de grenadiers, de palmiers-dattiers195, de figuiers, de pommiers, d’amandiers, de figuiers de Barbarie aux fruits épineux qui bordent les routes (souvent plantés sur les haies appelées tabias à titre de protection), de la vigne et de légumes et de certaines céréales. Les revenus des palmiers et oliviers représentant à eux seuls 64 % du total des productions agricoles. On recense en1963, 497 000 oliviers, alors qu’il n’y en avait que 394 500 en 1929, mais aussi 52 000 oliviers sauvages ou zabbous196 qui, devenus à la mode, commencent à être arrachés pour être transplantés hors de l’île ; on trouve cependant encore des oliviers millénaires à Djerba183.
Au sein du menzel, la famille a en général un ou deux chiens de garde, un ou plusieurs chats qui se chargent de protéger le grenier contre les souris64, quelques poules pour les œufs et la viande et quelques chèvres et moutons pour le lait, le petit-lait (l’ban), le lait caillé (raieb), le fromage (rigouta et jebna), la viande, la laine ou les peaux. Elle a aussi un âne ou un muletet éventuellement une charrette ainsi qu’un chameau pour le travail de la terre (labour et irrigation) et le transport des biens et marchandises ainsi que celui des humains. S’il en a les moyens, le Djerbien possède une seniaverger d’arbres fruitiers irrigué et clôturé mais ne comportant pas en général d’habitation. Mais le plus souvent, il possède un jnan, verger non irrigué, un potager et un champ pour produire ses propres céréales (blé dans les zones d’eau douce, orge, sorgho et lentilles sur le reste de l’île). La frawa est un autre type d’exploitation agricole plantée d’oliviers. Avant les années 1960, le Djerbien vivait souvent en autarcie presque totale et n’achetait au marché que le minimum nécessaire : sel, sucre, thé et café197, certaines épices et quelques autres articles.
Puits entouré de palmiers ; le seau rempli d’eau est ramené vers la surface par un dromadaire tractant une corde.
Puits actionné par un dromadaire
Pour l’irrigation traditionnelle, c’est la canalisation dite seguia qui est utilisée : l’eau est déversée dans un grand bassin par un delou (outre en cuir) qui plonge dans le puits au moyen d’une corde tirée le plus souvent par un chameau198, la course en pente de l’animal correspondant à la profondeur du puits199 ; le champ est divisé en petits carrés (jadouel) délimités par des talus de sable ; de petites ouvertures y sont pratiquées pour laisser passer l’eau ruisselant de la seguia62. Une fois le jadouel plein d’eau, l’ouverture est refermée et l’eau dirigée vers lejadouel suivant.
L’eau souterraine est le plus souvent saumâtre et ne permet que certaines cultures (orge, sorgho et lentilles) et la fertilité des champs dépend aussi bien de l’ardeur au travail du propriétaire et de sa famille que de la qualité (niveau de salinité) des eaux d’irrigation. Les champs sont le plus souvent délimités à l’extérieur par de hautes levées de terre appelées (tabia) surmontées de cactus ou de figuier de Barbarie voire d’agaveou d’aloès. Elles servent certes à abriter les menzels des regards mais surtout à protéger les enclos contre l’érosion éolienne200.
Vers 1940, on comptait à Djerba 520 000 palmiers, 375 000 oliviers, 160 000 arbres fruitiers divers (pommiers, poiriers, figuiers, pêchers, orangers, citronniers, abricotiers, grenadiers, amandiers, etc.) et 650 000 pieds de vigne. Il n’existait pas de vrai pâturage et l’élevage était assez réduit201. En 1938, 31 % de la population adulte vivait des activités agricoles, cette proportion tombant à 25 % en 1956 puis 17 % en 1962202. Ce taux est encore plus bas de nos jours.
La culture sous serres en plastique et l’arrosage au goutte-à-goutte ont fait leur apparition de même que l’élevage de vaches laitières (près de 500 en 199859).

Pêche[modifier]

Phare de Taguermess dont la tour est peinte de huit bandes horizontales alternativement rouges et blanches.
Phare de Taguermess
Djerba compte plusieurs petits ports de pêche203 dont ceux de Houmt SoukAjim (autrefois célèbre pour sa pêche d’éponges)179 — des pêcheurs grecs d’éponges étaient arrivés vers 1890 en provenance de l’île grecque de Kalymnos — Aghir, Lella Hadhria et El Kantara. La pêche djerbienne — sautades de mulets204 et pêche à la gargoulette (amphore) de poulpes — profite d’eaux parmi les plus poissonneuses de la mer Méditerranée.
Contrairement à celles des îles Kerkennah, les femmes djerbiennes ne participent pas à l’activité de pêche et ce même en l’absence du mari, la pêche étant pratiquée en majorité par les habitants ibadites de l’île, d’Ajim à Sedouikech. Une méthode de pêche assez particulière, la zriba oucharfia (pêcherie fixe)126, est très pratiquée sur l’île et il est commun de voir dans la mer, au nord et à l’ouest de l’île, des haies ou des cloisons depalmes enfoncées dans la vase des hauts fonds servant à arrêter le poisson et à le diriger vers les nasses. En 1938, 1 300 hommes (environ 10 % de la population mâle adulte) vivaient de la pêche en utilisant près de 600 barques (des loudes pour la plupart) et 130 pêcheries fixes. En 1964, le nombre de barques était descendu à environ 507 unités et celui des pêcheries fixes à 85, le nombre de pêcheurs étant de 1 274 personnes205 alors qu’en 1998, le nombre de pêcheurs atteint près de 2 470 personnes alors qu’il ne reste plus qu’une quinzaine de pêcheries fixes206 d’où une baisse considérable si l’on considère l’accroissement démographique durant cette période. Si environ 4 378 tonnes de poisson ont été commercialisées en1981, cette vente est tombée à environ 3 000 tonnes en 1993207.
Les loudes à la blanche voilure grecque sont utilisées pour la pêche du poisson et les kamakis à voile latine de couleur rouge tirant sur l’orangé, lavergue fixée obliquement en son milieu à l’extrémité du mât unique et court, sont utilisées par les pêcheurs d’éponge208. Toutefois, des chalutiers ont fait leur apparition dans les hauts-fonds179.
En fait, compte tenu des ressources limitées de l’île, les hommes, et en particulier ceux de souche berbère, s’expatriaient pour faire du commerce en dehors de l’île, aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger (surtout en France et en Algérie et en particulier à Constantine) alors que les femmes restaient sur l’île avec les enfants et les hommes âgés. Elles pratiquaient l’agriculture et l’artisanat mais jamais la pêche, activité réservée aux hommes et limitée à certains villages.
Afin d’assurer la sécurité des navires, plusieurs phares existent le long des côtes de l’île, dont le plus haut de l’île (mais aussi d’Afrique du Nord) grâce à sa tour de 54 mètres construite sur une formation rocheuse haute de 20 mètres209. Situé à Taguermess, sur la côte nord-est de l’île, il est construit sur une formation rocheuse côtière surplombant une sebkhaalimentée en eau de mer lors de la marée haute. Ce phare date du XIXe siècle (vers 1885), son sémaphore est d’une portée de 32 miles marins209.
Un deuxième phare, le premier installé sur l’île, est celui de Borj Jilij, à la pointe nord-ouest de l’île, non loin de l’aéroport ; il est inauguré vers la fin du XVIe siècle à l’emplacement de l’ancien fortin dénommé par les Espagnols sous le nom de Tour de Valgarnera210. Un troisième phare se trouve à Aghir sur la côte sud-est. Il en existe plusieurs autres, dont ceux des ports d’Ajim et de Houmt Souk.

Artisanat[modifier]

Potier de Guellala travaillant de l’argile sur son tour ; le mur derrière lui est couvert de poteries.
Potier de Guellala au travail
L’artisanat, en particulier le travail de la laine, du lavage au cardage, en passant par le filage et le tissage211, a depuis des générations joué un rôle primordial dans la vie économique et sociale de l’île et constitué une source de revenus importante pour les Djerbiens (hommes ou femmes). L’architecture des ateliers de tissage est typique sur l’île212 : ils sont semi-enterrés afin de préserver l’humidité ainsi qu’une certaine température et possèdent un fronton triangulaire. On comptait 428 ateliers et 2 524 tisserands en 1873, le nombre de tisserands tombant à environ 1 600 en 1955 et 1299 en 1963. À cela s’ajoutent les laveuses, cardeuses et fileuses de laine (en principe toujours des femmes) ainsi que les teinturiers, l’activité deteinture remontant à l’époque punique213.
La couverture djerbienne appelée farracha ou farrachia était célèbre et recherchée. L’activité de tissage des houlis en cotonlaine ou soie naturelle ainsi que le tissage des kadrounsk'baiakachabiawazras et burnous (habits en laine pour homme) joue également un rôle important. La poterie deGuellala remonte quant à elle au moins à l’époque romaine, ses produits étant principalement utilitaires mais pouvant aussi être décoratifs. Il est à noter que les potiers de Djerba n’ont plus le droit de vernir leur poterie à leur gré, une décision administrative centrale les obligeant à les garder brute. Parlant des potiers de Djerba, Georges Duhamel avait écrit dans les années 1920 :
« J'ai cherché des poètes. J'ai trouvé des potiers. Nul métier ne fait mieux penser à Dieu, à Dieu qui forma l’homme du limon de la terre [...] Sur tous les chemins de Djerba, entre les remblais sablonneux, crêtés de petits agaves pourpres, circulent des chameaux, portant un faix énorme et vain : la grosse grappe de jarres sonores214... »
La bijouterie (or et argent) reste aussi une activité lucrative importante. Les bijoutiers de Houmt Souk excellent ainsi dans l’ornement des bijoux en argent émaillé et dans la fabrication de bijoux comportant de l’or en filigrane215. La vannerie — le produit de base étant les jeunes feuilles de palmiers — était également une source de revenue importante, en particulier pour les personnes âgées. Aujourd’hui, les sacs, couffins (koffa) et chapeaux (appelés m’dhalla ou dhallala selon les villages) restent des articles vendus aussi bien aux habitants de l’île qu’aux touristes. Les artisans confectionnent également des cordages et des nasses de pêcheurs. La natterie (tissage du jonc) est également une activité pratiquée sur l’île, surtout dans la localité de Fatou, non loin de Houmt Souk. La broderie, pratiquée presque exclusivement par des femmes, et en particulier celle des habits traditionnels, fait vivre encore de nos jours un nombre important de familles.
L’artisanat a pris des formes diverses et a connu un essor considérable avec le développement du tourisme et en particulier la fabrication de tapis.

Infrastructures[modifier]

Perspective sur une route aménagée sur une digue entourée de part et d’autre par la mer ; un pipeline a été aménagé du côté droit.
Chaussée romaine bitumée reliant Djerba au continent
L’île est reliée du côté sud au continent par un pont de 7,5 kilomètres de long8 et environ 10 mètres de large. Le tracé de ce dernier, qui remonterait à la fin du iiie siècle av. J.-C., aurait été l’œuvre des Carthaginois avant d’être modifié à l’époque romaine et appelé pons zita par les Romains. Ces derniers percent le pont à certains endroits pour y installer des foulons4. Le pont (El Kantara en arabe qui est également le nom actuel de la localité où débute la chaussée) est submergé par la mer puis en grande partie détruit vers 1551, lors des conflits entre Dragutet les Espagnols.
Au cours des siècles, un gué appelé Trik Ejjmaal (route des dromadaires) et situé près des ruines de la chaussée romaine a servi au passage des chameliers. C’est sur l’emplacement de ce gué qu’a été établie en 1951 puis améliorée en 1959, et à plusieurs reprises par la suite, cette route qui rattache l’île au continent africain216.
Cette voie fut goudronnée pour la première fois sous le protectorat français. Elle permet également d’acheminer de l’eau douce, l’île ne possédant que de rares sources localisées à Mahboubine, où l’eau est pompée à 80 mètres de profondeur, Oued Ezz'bib et Oualegh et quelques autres localités. En effet, deux pipelines parcourent la voie et assurent l’alimentation de l’île sans laquelle le tourisme serait impensable217. À Ajim, des bacs relient l’île au village de Jorf situé sur le continent.
Aérogare de l’aéroport de Djerba avec sa façade vitrée.
Aérogare de l’aéroport
Un aéroport international relie l’île au reste des aéroports du pays et à la majorité des grands aéroports d’Europe et du Moyen-Orient. Infrastructure initiée vers les années 1950 à la pointe nord-ouest de l’île, cet aéroport est agrandi en 1972 et voit sa capacité doublée en 1992avec la mise en service d’une nouvelle gare de fret en 1986218. Plusieurs routes goudronnées sillonnent l’île. Une voie rapide menant à l’aéroport a été construite dans les années 2000. Un certain nombre de cliniques privées, en plus des hôpitaux publics, ont été construites au cours des années 1990 et les établissements scolaires se sont multipliés. Le réseau de transports publics est plutôt limité sur l’île et, en l’absence de véhicule personnel, le taxi reste le meilleur moyen de locomotion. Il est également possible de louer des vélos et des vélomoteurs, pratiques sur des distances limitées mais parfois dangereux compte tenu de l’étroitesse de la plupart des routes.
Un grand théâtre en plein air, construit en 2004 à Houmt Souk, abrite les grandes manifestations culturelles dont celles du festival annuel d’Ulysse. Plusieurs stades de football existent, dont ceux de Houmt Souk et Midoun, qui accueillent respectivement l’Association sportive de Djerba et l’Espoir sportif de Jerba Midoun. Djerba dispose également d’un terrain de golf situé non loin du complexe hôtelier Dar Djerba et du phare de Taguermess.

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