jeudi 3 mars 2011

Djerba (جربة)

Toponymie[modifier]

Djerba est connue depuis l’Antiquité par la légende qui fait d’elle l’île des Lotophages décrite dans l’Odyssée d’Homère, ce qui lui vaut d’être souvent appelée Lotophagitis (du grec ancien Λωτοφαγῖτις ou Λωτοφάγων νῆσος). Selon l’historien et géographeSalah-Eddine Tlatli, jusqu’au iiie siècle l’île a eu plusieurs noms : le Périple du Pseudo-Scylax la nomme Brachion (Βραχείων) ou « Île des hauts-fonds », Hérodote PhlâPolybeThéophraste et tous les auteurs latins Meninx (Μῆνιγξ).
En ce qui concerne son nom actuel, Salah-Eddine Tlatli avance l’explication suivante :
« C’est vers la fin de la période romaine qu’on rencontre pour la première fois le nom de Gerba ou Girba, donné à une ville située sur l’emplacement actuel de Houmt Souk (capitale de l’île). Auparavant, au second siècle ap. J.-C., Ptolémée avait déjà mentionné le nom de Gerra, sans doute lapsus calami de Gerba. C’est en fait Aurelius Victor qui le premier parle de Girba lorsqu’il nous apprend que cette ville a eu l’honneur de donner le jour à deux empereurs romains. Jusque-là, l’île avait connu bien d’autres noms au cours de l’Antiquité5. »

Géographie[modifier]

Site[modifier]

L’île, qui dépend administrativement du gouvernorat de Médenine, est située par la route à environ 500 kilomètres de Tunis (contre environ 330 kilomètres à vol d’oiseau) et à plus de 100 kilomètres de Gabès. De part et d’autre, deux avancées du continent rapprochent Jorf d’Ajim à l’ouest et Zarzis d’El Kantara à l’est. Vers le large, l’extension de la plage de Mezraya(Sidi Mahrez) forme une presqu’île, Ras R'mal, qui est l’un des sites touristiques importants de l’île.
Paysage de plage couverte de touffes d’herbe.
Côte méridionale de l’île
La superficie de l’île est voisine de 514 km2. Vue par image satellite, elle présente la forme d’une molaire géante avec ses trois racines : lespéninsules d’Ajim, de Ras Terbella et de Bine El Oudiane6 ; sa plus grande longueur est de 29,5 kilomètres et sa plus grande largeur de 29 kilomètres7. Ses côtes, qui s’étendent sur 125 kilomètres, présentent un tracé très irrégulier. Les trois péninsules marquent les points les plus rapprochés du continent dont l’île est séparée par le canal d’Ajim, large de deux kilomètres8, et celui d’El Kantara, large de six kilomètres. Le canal d’Ajim accueille deux îlots appelés Elgataia Kbira et Elgataia Sghira.
Jadis rattachée au continent, Djerba s’apparente beaucoup par la régularité de sa topographie et de sa structure géologique au relief tabulaire qui marque le littoral méridional de la Tunisie7. L’île est plate, l’altitude moyenne y étant de 20 mètres et son point culminant, Dhahret Guellala, s’élevant dans sa partie méridionale à 53 mètres7. À ce niveau, l’île est traversée par un accident topographique majeur (15 mètresde dénivellation sur 15 kilomètres de long). La topographie en escalier alterne des secteurs élevés et d’autres en dépression dont la surface est modelée par une morphologie dunaire7. Le littoral est caractérisé pour sa part par des côtes basses, les plages, en grande majorité sablonneuses, s’étendant principalement entre Ras R'mal et Borj El Kastil. Gustave Flaubert nomme Djerba « Île aux Sables d’Or » à cause de leur sable fin et doré9. L’eau douce est rare et il n’existe aucun cours d’eau.
Djerba est entourée de hauts fonds — la bathymétrie à proximité de l’île est presque toujours inférieure à -10 m et l’isobathe de -5 m n’apparaît qu’au-delà d’une dizaine de kilomètres des côtes méridionale et septentrionale7 — toutefois perturbés au large de la côte méridionale par l’existence d’un certain nombre d’oueds (courants marins) qui sillonnent les canaux d’Ajim et d’El Kantara, les profondeurs dépassant à certains endroits les 20 mètres7.

Climat[modifier]

Le climat de Djerba est de type méditerranéen mais à tendance semi-aride car il se trouve au carrefour des masses d’air méditerranéennes et sahariennes. La température annuelle moyenne y est de 19,8 °C, les moyennes mensuelles ne dépassant guère 30 °C ni ne descendant au-dessous de 8 °C7. En été, la moyenne maximale atteint 32,7 °C mais la chaleur se trouve atténuée par la brise marine, alors qu’en hiver, les moyennes mensuelles sont supérieures à 12 °C7. Emmanuel Grevin parle ainsi de « cinquième saison » à Djerba :
« À Sfax, l’hiver vous aura quittés ; à Gabès vous trouverez le printemps ; à Tozeur l’été ; et à Djerba vous découvrirez la cinquième saison. Mais oui Monsieur, la cinquième saison, ce climat spécial à l’île de Djerba, si étrange, fait de sécheresse extrême, de brise marine, de fraîcheur et de rosées nocturnes, de quelque chose de rationnel, de tempéré en tout10. »
Gustave Flaubert fait décrire à Mathó, dans le chapitre IX de son roman Salammbô, cette « île couverte de poudre d’or, de verdure et d’oiseaux, où les citronniers sont hauts comme des cèdres [...] où l’air est si doux qu’il empêche de mourir »11.
En ce qui concerne les précipitations, Djerba est la région la plus arrosée (248,8 millimètres) de toutes les régions au sud de Sfax, la moyenne des jours pluvieux atteignant quarante jours par an7. Plus de 60 % des précipitations se concentrent entre les mois de septembre et décembre avec un maximum en octobre (28 % du total annuel)7. Néanmoins, l’essentiel de la pluviométrie annuelle peut se répartir sur trois à quatre averses seulement7. La saison sèche débute en avril et l’été voit rarement la pluie tomber. L’humidité et la rosée nocturne sont deux facteurs vitaux pour la flore de l’île.
Suivant les saisons, Djerba connaît des vents dominants de directions différentes. De novembre à mars, ce sont les vents d’ouest qui dominent avant d’être remplacés de mars à la mi-juin par le sirocco, vent chaud s’accompagnant souvent de tourbillons de poussière7. Avec l’arrivée de l’été dominent les vents d’est, porteurs de fraîcheur.

Histoire[modifier]

Antiquité[modifier]

Dès l’Antiquité, les historiens mentionnent Djerba qu’ils identifient à la première île où, dans l’OdysséeHomère fait échouer Ulysse et ses compagnons, égarés en mer de retour de laguerre de Troie (vers 1185 av. J.-C.)12 ; pour avoir goûté au lotos« fruit doux comme le miel qui plonge tous ceux qui en dégustent dans les délices d’un bienheureux oubli qui efface tous les soucis de l’existence », Ulysse, « que ce fruit miraculeux aurait plongé dans une heureuse amnésie »13, a peine à quitter l’île des Lotophages (mangeurs de lotos)14.
À l’orée de l’Histoire, le territoire de l’actuelle Tunisie est peuplé de Berbères au mode de vie néolithique15. Plusieurs spécialistes, dont Lucien Bertholon16 et Stéphane Gsell17, admettent l’existence de migrations entre la mer Égée et le golfe des Syrtes, où se trouve Djerba, au cours du IIe millénaire av. J.-C.. Avant même la fondation de Carthage, au ixe siècleav. J.-C., des Phéniciens de Tyr auraient implanté plusieurs comptoirs le long de la côte de la Libye et de la Tunisie actuelles jusqu’à Utique. Djerba en fit sans doute partie. Le Périple du Pseudo-Scylax, qui remonte approximativement au milieu du ive siècle av. J.-C., donne sur l’île les indications les plus anciennes, exception faite de celles d’Homère :
« On y fait beaucoup d’huile, qu’on tire de l’olivier sauvage ; l’île produit d’ailleurs beaucoup de fruits, de blé, d’orge, la terre est fertile9. »
La tradition locale, dans sa version la plus courante, rapporte que les premiers Juifs se seraient installés à Djerba après la destruction par l’empereur Nabuchodonosor II, en 586 av. J.-C., du Temple de Salomon18, dont une porte aurait été incorporée dans la synagogue de la Ghriba.
Vue plongeante sur une cavité dans le sol ouvrant sur des salles abritant des tombes puniques.
Tombeaux puniques à Souk El Guebli
D’après Gsell, à l’époque, « Djerba dépendait certainement de Carthage ». Les Carthaginois fondent plusieurs comptoirs, le plus important étant Meninx, sur la côte sud-est de l’île, qu’ils transforment en haut lieu d’échanges du bassin méditerranéen, y aménageant des ports pour leurs embarcations et l’utilisant comme escale dans leurs parcours de la Méditerranée19. Outre la culture de l’olivier, l’île carthaginoise abrite plusieurs ateliers de poterie, plusieurs pêcheries, et développe la teinture de pourpre à base de murex, qui fait la renommée de l’île12. Important relais vers le continent africain, Djerba connaît ainsi plus d’un demi-millénaire de prospérité avec les Phéniciens.
Les premiers contacts de l’île avec les Romains ont lieu lors de la Première Guerre punique, au cours d’opérations que ceux-ci mènent contre Carthage. La première, véritable expédition navale commandée par Cnaeus Servilius Caepio et Caius Sempronius Blaesus, est envoyée à Djerba en 253 av. J.-C.20. Une deuxième, commandée par le consul Cnaeus Servilius Geminus, est lancée en 217 av. J.-C., durant laDeuxième Guerre punique, l’année même de la bataille du lac Trasimène disputée entre Carthaginois et Romains en Italie. Cependant, « ce n’est qu’en l’an 6 ap. J.–C., après la phase des protectorats sur les princes berbères, les reges inservientes, que débute la colonisation directe dans la zone syrtique »21. On sait que l’île compte alors deux villes : Meninx et Thoar.
Monticule de pierre marquant l’emplacement d’un mausolée.
Mausolée de Bourgou à Midoun
Baptistère déposé au sol dans une salle du musée national du Bardo.
Baptistère d’El Kantara
Elle abrite par la suite trois centres urbains principaux. L’un d’entre eux, dont le nom moderne est Henchir Bourgou, a été découvert à proximité deMidoun, au centre de l’île : on y trouve les vestiges — appelés « Roches de Bourgou » — d’une grande ville datant du ive siècle av. J.-C., marqués par la présence de poteries abondantes et d’un imposant mausolée appartenant probablement à un membre d’une famille royale numide. Un deuxième centre, sur la côte sud-est, est un site de production de colorants à base de murex, cité par Pline l’Ancien comme occupant le second rang dans ce domaine derrière la cité de Tyr : de substantielles quantités de marbre coloré découvertes sur place témoignent de sa richesse. Le troisième centre important, probablement l’ancienne Haribus, se trouve sur la côte méridionale à proximité du village de Guellala.
Deux empereurs romainsTrébonien Galle et son fils Volusien, sont natifs de Djerba. Un décret romain de l’an 254, peu après leur mort, mentionne l’île dans l’expression Creati in insula Meninge quae nunc Girba dicitur : c’est la première trace connue de l’utilisation du nom de Girba22. Au milieu du iiie siècle, une basilique est construite dans ce qui est alors l’évêché de Girba. Deux des évêques de l’île ont laissé leur nom dans l’histoire : Monnulus et Vincent, qui assistent respectivement aux conciles de Carthage de 255 et de 52523. Les ruines de leur cathédrale peuvent être identifiées près d’El Kantara, dans le Sud-Ouest de l’île, d’où provient un beau baptistère cruciforme conservé au musée national du Bardo à Tunis5.
Des prospections archéologiques menées entre 1996 et 2000 sous les auspices de l’Université de Pennsylvanie, de l’Académie américaine à Rome et de l’Institut national du patrimoine ont révélé 250 sites archéologiques incluant de nombreuses villas puniques et romaines24.
Après les Romains, Djerba est envahie par les Vandales, puis par les Byzantins. C’est en 665 qu’elle tombe aux mains des Arabes dirigés par Ruwayfa ibn Thâbit Al Ansari, un compagnon du prophète Mahomet, pendant la campagne de Byzacène commandée par Muawiya Ben Hudaydj. L’île est alors le témoin de luttes entre factions musulmanes et se rallie finalement au parti des kharidjites25.

Moyen Âge[modifier]

Au xie siècle, l’île devient indépendante à la suite de l’invasion de l’Ifriqiya par les Hilaliens venus d’Égypte et se spécialise dans la piraterie26. C’est à la même époque que la présence d’une communauté juive y est historiquement attestée pour la première fois par une lettre de commerce provenant de la Guenizah du Caire, d’où sont tirés d’autres documents mentionnant les Djerbiens au Moyen Âge ; écrite vers 1030, elle fait référence à un certain Abū al-Faraj al-Jerbī (« le Djerbien ») demeurant à Kairouan et commerçant avec l’Orient, soit l’Égypte et l’océan Indien27. Occupée par le sultan hammadide Abd al-Aziz ibn Mansur, qui règne de 1104 à 112126, l’île est prise brièvement par Ali Ben Yahya en 1115-1116.
Djerba a vu ensuite se succéder Normands de SicileAragonaisEspagnols et Ottomans durant quatre siècles « au cours desquels chrétiens et musulmans s’y [sont] massacrés »28. Pendant le Moyen Âge, ce sont d’abord les chrétiens de Sicile et d’Aragon qui disputent à plusieurs reprises leur possession aux kharidjites ibadites djerbiens. De cette période subsistent de nombreuses petites mosquées (certaines souterraines) dont les premières datent du xiie siècle, ainsi que deux forts imposants.
En 1134, profitant de la situation troublée de l’Ifriqiya29, les troupes normandes du royaume de Sicile s’emparent de l’île qui tombe sous la domination du roi Roger II de Sicile, puis de son fils et successeur Guillaume le Mauvais. En 1154, les Djerbiens se rebellent mais les Normands écrasent leur révolte dans le sang ; seule la conquête almohade, en 1160, parvient à les chasser de Djerba et du littoral tunisien.
Durant l’automne 1284, l’amiral aragonais Roger de Lauria prend possession de l’île et y installe un domaine placé sous la suzeraineté du Saint-Siège30 ; l’archipel des Kerkennah est joint à sa seigneurie en 1286. En 1289, il fait construire, près de l’antique Meninx, une forteresse appelée Castelló et plus tard Borj El Kastil ou Borj El Gastil. À sa mort en 1305, il est remplacé par ses fils Roger (1305-1310) et Charles (1310) puis par Francis-Roger (1310). La famille ne parvenant pas à maîtriser les tentatives de soulèvement des Djerbiens et les attaques des Hafsides, cède ses droits au roi Frédéric II de Sicile qui nomme Ramon Muntaner comme gouverneur en 131131 alors qu’une famine sévit durant des mois, poussant à la révolte les habitants qui reçoivent l’aide des Tunisiens du continent. Muntaner administre l’île jusqu’en 1314 et c’est le sultan hafside Abû Yahyâ Abû Bakr al-Mutawakkil qui reprend l’île aux Aragonais aux environs de 133532.
S’ils abandonnent Djerba pendant leur guerre contre les Castillans (1334-1335), les Aragonais la reprennent en 1388, avec l’aide d’une flotte génoise33, mais ne la conservent que jusqu’à la fin de l’année 139234. De nouvelles attaques de la flotte d’Alphonse V d'Aragon35, en 1424 et 143136, sont repoussées avec l’aide du souverain hafside Abû Fâris `Abd al-`Azîz al-Mutawakkil. Les musulmans construisent une forteresse dans le Nord de l’île, à côté des ruines de l’antique Girba, qu’ils appellent Borj El Kebir. La ville de Houmt Souk se développe aux alentours.
En 1480, les Djerbiens se révoltent contre le sultan hafside Abû `Umar `Uthmân et prennent le contrôle de la chaussée romaine qui relie l’île au continent. Les luttes internes entreWahbiya et Nakkara, deux factions des ibadites, qui dominent respectivement le Nord-Ouest et le Sud-Est de Djerba, n’arrêtent cependant pas le progrès économique de l’île. Les habitants paient alors un tribut au souverain mais restent indépendants. Pendant l’époque ziride, des tribus arabes nomades envahissent la Tunisie mais Djerba échappe à leur contrôle37.

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